L’ASSISTANTE DE DIRECTION : LE PONT D’EMPATHIE QUE LES DIRIGEANTS NÉGLIGENT

Dans le monde professionnel, l’empathie est partout dans les discours. On attend des managers qu’ils fassent preuve d’écoute, de sensibilité humaine, de bienveillance.

Mais dans les faits, l’environnement de travail reste très orienté performance, urgence, et rationalité. Il y a peu d’espaces pour accueillir les émotions, ou même simplement pour observer ce qui se passe « sous la surface ».

Selon une étude publiée par Harvard Business Review, 55 % des dirigeants se perçoivent comme empathiques. Mais du côté des collaborateurs, seuls 28 % partagent cette vision. Autrement dit, il existe un écart de perception significatif. Un écart qui, bien souvent, ne se comble pas tout seul.

Dans ce contexte, l’assistante de direction occupe une position singulière.

Une position charnière

En tant qu’assistante, nous sommes à la fois :

  • proches du dirigeant,
  • connectées aux équipes,
  • et souvent en lien avec de nombreux services, clients, partenaires, prestataires.

Cette transversalité nous donne accès à des informations qu’aucun autre poste ne croise de manière aussi fluide. Mais surtout, elle nous positionne comme une interface humaine, sensible aux tensions, aux évolutions de climat, aux dynamiques relationnelles parfois subtiles.

C’est ce que j’appelle « jouer un rôle d’empathie organisationnelle ». Un rôle qui n’est écrit nulle part dans notre fiche de poste, mais que beaucoup d’assistantes endossent naturellement, souvent depuis des années.

Ce rôle repose sur plusieurs compétences clés, que j’aimerais détailler ici.

1. L’assistante comme capteur émotionnel

Lorsque quelque chose se détériore dans une équipe, cela ne se voit pas tout de suite dans les chiffres ou les résultats. En revanche, cela s’entend dans les couloirs. Cela se ressent dans les attitudes. Cela transparaît dans les échanges informels.

Souvent, c’est nous, assistantes, qui percevons ces signaux faibles les premières.

Parce que nous observons. Parce que nous écoutons sans forcément poser de diagnostic. Parce que notre bureau est parfois ce lieu où les gens viennent déposer ce qu’ils n’osent pas formuler ailleurs.

Ce rôle de « capteur » n’est pas anodin. Il nécessite de la sensibilité, mais aussi de la lucidité. Car ressentir, c’est bien. Mais encore faut-il pouvoir faire quelque chose de ces ressentis.

2. La traductrice entre le langage émotionnel et le langage stratégique

Une fois que nous avons identifié un malaise, une inquiétude ou un déséquilibre, la question est : comment le faire remonter ?

Si je me contente de dire « les gens sont tendus », je risque de passer pour celle qui rapporte des commérages. Mais si je suis capable de formuler les choses ainsi : « Il me semble que le climat dans l’équipe est fragile en ce moment, et cela pourrait avoir un impact sur la mise en œuvre du projet. Peut-être qu’un point d’étape avec eux permettrait de sécuriser l’adhésion », alors j’entre dans une posture d’alerte professionnelle, crédible, et utile.

Traduire les signaux émotionnels en messages compréhensibles est une compétence stratégique. C’est ce qui nous permet d’être entendues.

Et cela suppose aussi de bien connaître la sensibilité de notre manager :

  • Préfère-t-il des chiffres ou des exemples concrets ?
  • Est-il plus réceptif dans l’action ou dans le recul ?
  • Faut-il lui parler seul à seul ou dans un cadre plus formel ?

3. La gestion fine de l’accès au dirigeant

L’un des rôles historiques de l’assistante est de gérer l’agenda. Mais en réalité, nous faisons bien plus que répartir des créneaux.

Nous décidons, souvent de manière informelle, qui a accès à notre dirigeant. Et surtout : à quel moment, pour quel sujet, et dans quelles conditions. Quand un collaborateur demande « juste cinq minutes », nous savons faire la différence entre une demande anodine… et un besoin urgent, même s’il n’est pas formulé comme tel.

Cela suppose une qualité d’écoute, une capacité à lire entre les lignes, et un sens aigu des priorités humaines. Nous sommes souvent la dernière personne à qui l’on peut parler, quand les autres portes sont fermées.

4. La mémoire émotionnelle de l’organisation

Enfin, nous sommes aussi celles qui se souviennent.

Nous nous souvenons des moments difficiles, des conflits passés, des erreurs qui ont coûté cher mais que personne ne veut plus évoquer. Nous nous souvenons aussi des engagements pris, des promesses faites, des talents repérés mais oubliés.

En tant qu’assistantes, nous pouvons rappeler ces éléments avec délicatesse, au bon moment. Non pas pour faire la morale, mais pour aider à ajuster les décisions au réel, à l’humain, à l’histoire collective.

Mais comment tenir ce rôle sans s’épuiser ?

Ce rôle, aussi précieux soit-il, est souvent invisible. Il est rarement reconnu, encore moins formalisé. Et s’il n’est pas conscientisé, il peut devenir épuisant.

Voici quelques pistes que j’ai développées, au fil des années, pour jouer ce rôle avec plus de conscience, et moins de charge émotionnelle.

Mettre en place un cadre d’influence

  • Choisir les bons moments pour s’exprimer : début de journée, fin de rendez-vous, ou moments informels.
  • Adapter son format : synthèse orale ou note écrite
  • Penser à l’angle d’approche : ne pas opposer l’humain et le business, mais montrer leurs liens.

Donner une forme visible à l’intuition

  • Intégrer une section « points de vigilance » dans les points 1:1
  • Créer une alerte simple quand un climat d’équipe change (même sans preuves tangibles immédiates).

Créer des espaces d’écoute

  • Organiser des temps informels réguliers avec certains relais dans l’organisation.
  • Être à l’écoute active sans se transformer en cellule psychologique.
  • Proposer des retours collectifs anonymisés si nécessaire.

Définir ses propres limites

Ce rôle ne doit pas nous avaler. Nous ne sommes pas là pour absorber toute la souffrance au travail. Nous ne sommes pas responsables de la santé émotionnelle de toute l’entreprise. Nous sommes des relais. Pas des thérapeutes.

Cela implique de poser des limites :

  • sur notre disponibilité émotionnelle,
  • sur la nature des échanges que nous acceptons,
  • et sur ce que nous faisons remonter ou non.

Valoriser les actes d’empathie managériale

Enfin, un point important : quand un dirigeant fait preuve d’écoute ou de bienveillance, il faut le lui dire. Non pas pour flatter, mais pour renforcer cette posture. Par exemple : « Le fait que vous ayez pris cinq minutes pour remercier l’équipe a vraiment changé l’ambiance. »

Ces retours permettent à nos managers de prendre conscience de l’impact positif de leur comportement.

En conclusion

L’empathie est une compétence managériale. Mais c’est aussi une fonction systémique, dans laquelle l’assistante de direction joue souvent un rôle-clé.

Cette capacité à détecter, formuler, réguler, traduire des signaux humains est une richesse pour toute l’organisation. Encore faut-il que ce rôle soit reconnu, protégé, et professionnalisé. Nous ne sommes pas « juste des intermédiaires ». Nous sommes des actrices de la cohésion, de l’intelligence collective, et parfois, du courage managérial.

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